Interview de Paolo Lafranceschina (mon papa)
Le 12 Décembre 2004

Papy Paul, Paolo Lafranceschina
né le 18 décembre 1918
déclaré le 4 janvier 1919
donc aujourd'hui nous sommes le 12 décembre 2004 dans six jours il aura 85 ans
Alors on va retracer l'histoire de Papy Paul à la demande d’Emilie (ma fille) parce qu’elle a
un petit travail à faire pour l'école concernant l'immigration notamment des italiens dans la
région et je pense que mon papa est un bon exemple pour retracer l'histoire de l'immigration
italienne dans la région alors tu vas nous raconter comment on en est arrivé à cette
immigration dans la mesure l'Italie était en guerre que la guerre s'est terminée pour toi en
1943.
Commencée en mai 1940, la guerre s’est terminée pour moi en Septembre 1943.
Ou étais-tu ? Tu étais à Rome ?
Comme j'étais dans l’aviation, 8 jours avant la fin de la guerre, j’étais à Gioia del Colle
à côté de Bari et ensuite on nous a emmenés en avion à Sienne en Toscane
Arrivés à Sienne, l’armistice est signée par le Marechal Badoglio.
Le commandant de la base nous a réuni et nous as dit :
« La guerre est finie, faites attention, rentrer chez vous, dans votre famille ou chez des amis
ou alors nous avons 3 avions prêts à partir et on ne sait pas où on atterrirait, on peut être
prisonniers ou abattus «
Alors on s’est éparpillés, chacun est parti à droite ou à gauche, nous sommes allés à la gare et
nous avons pris le train sans payer jusqu’après Rome car ensuite il ne fonctionnait plus, c’était
la désorganisation complète.
J’arrive ensuite à Corato le 25 Septembre 1943 en ayant utilisé la marche à pied, des
charrettes, un bateau à voile le long de la côte adriatique. A Margherita di Savoia nous avons
pris un bateau à voile de pêcheur, nous avons donné un peu d’argent au pêcheur. Sur le
parcours le vent est tombé et nous avons terminé à la rame. Nous sommes arrivés à Trani.
Le front entre les allemands et les alliés se situait au niveau de Foggia.
Nous étions 4 ou 5 sur une charrette tirée par un cheval lorsque nous avons rencontré des
soldats allemands sur un side-car, ils nous ont regardés et ensuite ils ont fait demi-tour.
Nous sommes arrivés ensuite à Margherita di Savoia, c’est là que nous avons pris le bateau à
voile jusqu’à Trani.
A Trani, nous avons pris une charrette tirée par un cheval pour faire les 12 kms jusqu’à
Corato.
J’arrive donc à Corato, il n’y avait rien à faire et je reste au chômage, sans travailler pendant 2
ou 3 mois.
Ensuite, je demande du travail aux Anglais qui avaient installé une base à Molfetta sur des
terrains de sport. Molfetta se situe entre Corato et Bari à 30 kms de Corato.
Des camions de l’armée anglaise venaient nous chercher et nous ramenaient tous les jours
après le travail. Ils nous donnaient un casse croute le matin et à manger le midi.
Mon travail consistait à réparer, démonter et remonter des motos abimées de l’armée anglaise
qui revenaient du front et on les mettait tout à neuf. On changeait toutes les pièces
cassées (roues, moteur, carrosserie, phares, fils, réservoir ….)
J’étais mécanicien moto spécialisé sur les marques BSA, Norton, Ariel, Triunph. Que des
motos anglaises, pas de motos italiennes.
C’est là que tu as appris la mécanique. Tu connaissais la mécanique sur les avions. Tu étais
mécanicien volant ?
Non aide-mécanicien.
Tu as démonté des moteurs d’avion ?
Non je faisais de la réparation, de l’entretien simple.
Tu t’occupais des tringleries, des commandes…
Oui, du nettoyage aussi.
Chez les anglais, tu restes combien de temps ?
Je reste 2 ans, de 1944 à fin 1945. Ensuite la guerre est finie, les anglais s’en vont. Donc plus
de travail.
Tu étais payé par les Anglais ?
Oui bien sur.
Ils payaient bien pour l’époque, mieux que dans les champs d’oliviers ou dans les vignes ?
Oui le double et avec un 13 ème mois à Noel.
Est-ce que ton salaire était plus important que celui d’un ouvrier agricole ? Combien de fois ?
Oui 2 fois !
C’était intéressant.
Donc les Anglais s’en vont fin 1945 et donc toi tu n’as plus de travail.
Qu’est-ce tu fais alors ?
Je vais travailler chez les paysans comme ouvrier agricole, ramasser les olives, travailler chez
les maraichers. Je fais çà pendant quelques mois jusqu’en Septembre 1946.
Mais je ne gagne pas très bien ma vie, il n’y a pas d’emploi à Corato.
On commence à parler d’immigration, des amis s’en vont en Amérique. Des gens organisent
des filières, ils se font payer.
Donc toi, tu penses à partir ailleurs, tu penses à quoi ? à l’Amérique ?
Oui, j’ai mon oncle (Giuseppe Tarricone, frère de ma mère) déjà installé aux Etats-Unis, qui
voulait m’accueillir à New York mais sa femme voulait aussi accueillir un autre neveu de sa
famille, alors mon oncle a du renoncer car il n’avait pas les moyens d’accueillir 2 personnes
car en plus, il devait détenir à la banque un dépôt de garantie pour chaque personne accueillie
voire pour lui payer le billet retour s’il ne s’acclimatait pas.
Par conséquent, il n’a accueilli personne.
Donc ensuite, j’ai décidé de venir en France. Nous étions un groupe d’amis dont l’un
connaissait bien un guide et le chemin pour aller en France.
Nous sommes partis en train jusqu’à Turin. Chacun s’est payé le voyage. Nous étions une
quinzaine. D’autres groupes étaient aussi partis avant nous.
Nous arrivons à Turin avec une sacoche et un peu d’argent qui nous restait après avoir payé le
voyage.
J’ai 25 ans, je n’avais personne qui m’attendait en France. Mon frère Antonio était arrivé à
Grenoble un mois avant et je n’avais pas son adresse.
A Turin, nous montons dans un train de marchandise direction Bardonecchia et nous
descendons dans une petite gare ou il n’y a personne avant Bardonecchia pour ne pas se faire
repérer.
Un passeur nous attend et il nous emmène sur des sentiers de montagne direction la frontière
française en tenue de ville fin septembre 1946. Il y avait un peu de neige sur les hauteurs.
Nous marchons de nuit avec un gros sac à la main avec une veste et un petit manteau.
Je n’avais plus beaucoup d’argent, j’ai même dû donner ma montre au guide ou à la personne
qui va m’héberger arrivé en France.
Arrivés à la frontière, nous avons attendus de nuit 2 ou 3 heures un passeur français qui devait
arriver de Modane et qui n’est jamais venu.
Nous avons rejoint un autre groupe de coratins qui attendait aussi le passeur.
Comme ce guide ne venait pas, nous avons décidé de passer tous seuls la frontière et de
descendre en France. Nous avons atterri à Avrieux à côté de Modane.
Le guide nous avait promis un repas et il n’y avait rien. C’était le matin de bonne heure, nous
sommes rentrés dans une ferme, nous avons dormi sur la paille.
Le lendemain des voitures anciennes (4 chevaux, tacot …) nous ont emmenés par 4 ou 5 à
Grenoble chez la famille ou chez des coratins déjà installés et moi je suis logé rue St Laurent
à Grenoble (quartier italien à l’époque) chez quelqu’un que je ne connaissais pas.
Le lendemain matin, vient un type qui m’accompagne à Domène en car, place Dr Martin (ex
Square des Postes) jusqu’à Domène.
Ce type m’amène dans l’entreprise « Rivets Emile Morel » et me présente à un chef d’atelier
contremaitre.
Il y avait beaucoup de travail et je suis accueilli comme le bon dieu qui tombe du ciel.
Nous travaillions en 3x8 en 3 équipes par journée de 24 heures. Il y avait 200 à 250 ouvriers.
Nous produisions des rivets pour l’industrie, les bateaux, les avions ….
C’était début Octobre 1946, je suis présenté le matin et tout de suite je me mets au travail.
Comment fais-tu pour manger, pour dormir ?
Le directeur nous a mis à disposition un appartement de 4 pièces et chaque pièce hébergeait 4
ouvriers. Je suis arrivé dans une pièce il y avait 3 italiens d’autres régions (Milan, Rimini,
Suse…)
Il y avait beaucoup d’italiens qui venaient en France.
Donc tu habite dans une chambre à 4,
L’appartement est situé juste à côté de l’usine, tous les locataires étaient des italiens, je sortais
de l’appartement et j’étais directement dans l’usine.
Pour manger, j’allais sur la place de Domène, il y avait un restaurant, tout était pris en charge
par l’entreprise, matin, midi et soir.
La première paye, je reçois un acompte en cours de mois de 5 Francs, pour comprendre, un
gros pain (environ d’un kilo) au marché noir valait 25 centimes.
Nous avions aussi des cartes et des tickets de rationnement qu’on donnait au restaurant. On ne
les utilisait directement que pour acheter du pain à la boulangerie. On nous donnait 200g de
pain par personne après avoir fait la queue. Le pain n’était pas de très bonne qualité car il se
cassait, il était mélangé avec de la semoule.
Le système de rationnement a perduré jusqu’en 1948.
Je vis dans cet appartement à côté de l’usine jusqu’à mon mariage en 1952. Je me débrouille
seul, je fais ma lessive. Je me fais aussi à manger. Je vais aussi à Grenoble pour me vêtir.
Tu vis principalement avec des italiens, comment fais-tu pour l’apprentissage du français ?
Comment fais-tu pour parler à l’usine ?
Avec les nombreux italiens, on parle un mélange d’italien et de français et avec les français je
commence à apprendre la langue.
Avec les habitants de Domène, comment sont vus les italiens ? Vous êtes des immigrés ….
Comme les arabes de maintenant…
Nous nous réunissions sur la place pour parler, parfois il y en avait un qui jouait de la guitare,
on allait de temps en temps au cinéma.
Comment sont vus les italiens ? Est-ce que vous êtes acceptés, rejetés ?
Non, nous sommes bien acceptés, avec le travail que nous faisions, nous étions bien
appréciés. Jamais d’insultes comme « sales macaronis «
Nous avions la même religion et nous allions dans les mêmes églises que les français.
C’était déjà un pas vers l’intégration.
Pas de bagarres entre français et italiens ?
Non, on nous appréciait bien.
Avec toi, y avait-il d’autres immigrés, d’autres nationalités ?
Oui, il y avait des espagnols, très peu d’algériens.
Il y avait des soldats allemands prisonniers (5 ou 6) qui travaillaient à l’usine gardés par des
militaires français et qui vivaient au château (propriété du patron de l’entreprise).
Ils sont restés 2 à 3 ans en réparation des dommages de guerre.
Y en avait-il dans d’autres usines ?
Je ne sais pas.
Vous aviez des contacts avec les allemands ?
Non, juste bonjour bonsoir, c’étaient des contacts amicaux, c’est tout. Ils faisaient leur travail,
on ne mangeait pas ensemble. Ils dormaient au château, ils étaient constamment gardés par
des soldats français, pour aller travailler, pour aller chercher à manger au restaurant.
Le restaurant était sur la place de Domène en face de la Poste et s’appelait « Rama ».
Les allemands ont été libérés fin 1948, début 1949.
Le patron de l’usine leur a proposé de rester travailler. Il y en avait un qui avait un brevet de
pilote et quand il en avait l’autorisation il faisait un tour d’avion. C’était un bon tourneur qui
faisait un excellent travail. Lui est resté en France les autres sont partis libres chez eux. Le
patron avait acheté un autre petite usine et lui a confié la commande de machines outils
allemandes pour produire des baguettes de soudure.
L’allemand se déplaçait en moto (de fonction) pour présenter son travail à d’autres entreprises
et a engendré beaucoup de commandes. Il a travaillé pas mal d’années dans cette usine.
Il a ensuite demandé au patron de rentrer dans le capital de l’entreprise. Le patron a refusé et
l’allemand est parti. Il a fondé une autre usine au Fontanil , il travaillait pour son compte.
Pendant ce temps, l’entreprise qui produisait des baguettes de soudure a fermé car elle n’était
plus rentable.
D’autre part, l’usine « Rivets Emile Morel » n’arrivait plus à vendre ses rivets qui étaient
lentement remplacés par la soudure et fait faillite en 1964.
Les week-ends et les vacances, tu faisais quoi ?
Pour mes loisirs, j’ai acheté un bon vélo d’occasion en 1948, je l’ai réparé, j’ai changé les
roues. Les pneus étaient usés. Pour avoir une bonne paire de pneu, il fallait avoir un bon signé
de ton patron car il fallait habiter à plus de 5 kms de ton travail. Moi, j’étais sur place et donc
je n’avais pas droit à ce bon.
Je me suis mis à faire du vélo à droite et à gauche, j’allais à Grenoble, en montagne.
A l’époque nous avions droit à un jour de vacance par mois travaillé soit 12 jours sur l’année.
C’était les congés payés.
En Aout 1951, il me restait 4 jours de vacances à prendre. Je devais aller au Consulat d’Italie
à Lyon récupérer mon passeport car j’en avais besoin pour aller en Italie et en même temps je
me dis que je pourrais me rendre à Turin pendant ces 4 jours.
Je fais donc Domène Lyon en vélo puis Lyon Chambéry et ensuite Lanslebourg ou je dors la
nuit dans un hôtel.
Le lendemain matin je prends le vélo et j’attaque les 14 kms du col de Moncenis, puis j’arrive
à Suse et ensuite 60 km jusqu’à Turin. Je suis allé au marché de Porta Palazzo où mon oncle
faisait le marché avec ma cousine, j’en profite pour acheter une paire de pneu neufs (rationné
en France). Chez mon oncle, j’ai changé mes pneus et les pneus usés je les ai enroulés et mis
sur le porte-bagage. Je suis resté 2 jours dans la famille.
Le samedi matin, j’ai pris la route direction Suse puis Montgenèvre.
Et pour manger ?
J’avais acheté du pain de la mortadelle et du fromage, j’en avais fait des sandwichs que j’ai
mis dans mon blouson. Arrivés en montagne, tout avait été consommé.
Arrivé à la frontière française, es-tu contrôlé ?
Oui j’ai présenté mon passeport sur lequel avait été marquée la couleur de mon vélo en
entrant en Italie.
Puis je roule jusqu’à Briançon, Col du Lautaret, Bourg d’Oisans, Riouperoux, Vizille puis
Domène.
J’ai fait ce périple en 4 jours.
A Turin pendant mon séjour, il y avait une course que j’ai écoutée à la radio, le Tour du
Piémont avec des coureurs comme Fausto Coppi, Bartali, Magne et Serse Coppi. Ils étaient
échappés tous les 4.
Mais Serse Coppi est tombé à l’entrée de Turin, il chute et meurt d’une hémorragie cérébrale.
(d’après Wikipédia, Serse Coppi est mort le 29 Juin 1951, donc mon père a du faire son
périple en Juin et non pas en Aout 1951)
Comment rencontres-tu Maman ? Tu vas à Corato ?
Oui je vais à Corato en train en 1951, je rencontre Maman et on se fiance. Nous décidons de
nous marier mais l’organisation du mariage traine un peu.
Ma mère meurt le 30 Janvier 1952. Nous avons attendu quelques mois et ma cousine qui est
devenu notre témoin de mariage, a organisé notre mariage le 24 Avril 1952.
Le 1er Mai 1952, nous prenons le train pour Rome avec mon ami Tony Leone qui s’était marié
5 jours avant moi et avec qui je travaillais à Domène.
Mais à Rome, le 1er Mai jour férié tous les transports publics ne fonctionnaient pas.
Heureusement son oncle est venu nous chercher à la gare avec une charrette à cheval et nous a
emmenés chez la soeur de Maman en plein Rome.
Ensuite nous reprenons le train à Rome pour aller à Domène.
La soeur de Maman (Concetta) est arrivée de Corato 2 ans après et ensuite nous avons
déménagé au 37 Rue de la République à Domène.
Nous sommes restés là jusqu’en 1967.
Et tu as eu tes 3 enfants.
En 1964, l’usine « Rivets Emilie Morel » fait faillite et ferme et je suis repris par « Les
Fonderies Roche » à Domène.
Son fils était à l’école avec moi avec le fils de l’ingénieur Maillet.
Ce Mr Roche était fort aimable et saluait tous ses ouvriers en ôtant son chapeau.
Il avait une grande maison près de l’église de Domène.
Fin de la Transcription. Mon Papa est décédé le 10 Mars 2010
Louis Lafranceschina

 

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